« ADN de marque » : qui n’a jamais entendu, voire employé cette expression ? Moi même, j’y ai sans doute succombé, jusque dans les colonnes de ce blog. La formule est tellement connue qu’elle est devenue archi-commune. Un cliché du marketing, en somme, qui résonne pour beaucoup de professionnels comme une évidence, tant la métaphore paraît riche et appropriée.
Pourtant, le rapprochement de la mercatique avec la génétique est-il réellement pertinent ? A en croire les généticiens eux mêmes, pas nécessairement. A trop filer la métaphore de l’ADN, il se pourrait même que les marketers s’égarent et en oublient l’essentiel: la nécessaire adaptation de l’entreprise et des marques à leur environnement, au-delà même de ce qui fonde leur identité et leur pérennité.
Tous à vos clés à mollette donc : ce matin sur le BrandNewsBlog, on vous propose une séance de déboulonnage de cliché, en trois temps…
1 – L’ADN humain : un facteur de ressemblance plus que de différenciation entre chaque individu…
C’est le péché mignon des praticiens des sciences molles comme le marketing : il faut toujours qu’ils essaient de faire des « OPA » sur les sciences dites dures pour crédibiliser leur propre discipline. Jean Watin-Augouard, rédacteur en chef de la Revue des marques, ne dit pas autre chose* : « Pourquoi le marketing a-t-il recours à la génétique ? Parce que les sciences molles sont jalouses des sciences dures. Elles y puisent des mots, des concepts qui simplifient le complexe, l’incertain. Prononcez les 3 lettres magiques (ADN) et tout semble résolu par une étrange valeur performative ! »
Or, comme le rappellent les généticiens, comme Catherine Bourgain, la définition scientifique de l’ADN ne colle pas nécessairement à l’image qu’on en a, ni aux besoins du marketing, en matière de différenciation pour commencer.
Dotée d’une structure très particulière, comparable à un collier de quelques 3 milliards de perles organisées en 1 seule séquence, la molécule chimique ADN ne varie en effet que très marginalement d’un individu à un autre (0,5 % seulement du « code » change). On est donc loin du vecteur différenciateur sensé renfermer en un condensé unique toute l’originalité de la marque par rapport aux caractéristiques de ses concurrentes.
2 – L’ADN de marque : un concept bloquant, symbole de stabilité et de déterminisme…
Autre propriété recherchée de l’ADN, et qui en ferait la valeur aux yeux de certains experts du marketing : la stabilité dans le temps de ce patrimoine génétique et la capacité à le transmettre d’une génération à l’autre. On évoquera ainsi « l’ADN » des marques de luxe, comme Hermès ou Louis Vuitton, sensé représenter les propriétés et valeurs intemporelles de chacune de ces marques, quels que soient les créateurs qui se succèdent au sein de ces « maisons ».
Or les études les plus récentes le prouvent : l’ADN humain se modifie, en réalité. L’épigénétique a ainsi démontré que notre mode de vie contribue à transformer nos gênes et que nous transmettons ces mutations d’une génération à la suivante.
A contrario, la marque ne change pas quand le produit change. Elle est symbole de transmission et d’héritage, voire de déterminisme puisque ses propriétés fondamentales resteraient inchangées dans le temps.
Là encore, voici une autre différence avec l’ADN humain, qui n’est absolument pas déterministe : ce n’est pas en analysant un ADN qu’on pourra en effet déterminer la taille d’un individu, sa personnalité ou son intelligence. Car tout cela résulte de l’interaction permanente entre la génétique et l’environnement.
Comme le dit encore Jean Watin-Augouard : « L’ADN est une mauvaise réponse à trois bonnes questions que la marque doit se poser : qui suis-je ? Quelle est la singularité qui fonde ma stratégie, ma communication et ma pérennité, et quelle est l’offre qui exprime ma singularité ? Enfin, existe-t-il quelque chose en moi qui ne change pas, quel que soit le temps ? »
Or, au-delà des critères d’identité et de lignage, les marques aussi doivent apprendre à évoluer, comme l’ADN. Et les entreprises doivent nécessairement s’adapter pour survivre. Celles qui ne l’ont pas compris, comme Kodak, qui était pour pourtant l’inventeur du numérique mais est resté aveuglément fidèle à son positionnement d’origine, disparaissent tôt ou tard. Car la fidélité à des valeurs ou un héritage ne doit évidemment pas être synonyme d’immobilisme.
3 – L’ADN : une expression réductrice pour les marques
Dernier artifice de l’ADN, plutôt dangereux quand on le transpose dans le champ du branding : la notion même d’unicité qu’il suppose, alors que la marque est tout autant le produit des perceptions des consommateurs que le fruit d’un code intangible et prédéterminé.
Comme le souligne à juste titre l’historien d’entreprises Thierry Maillet : « De la même manière qu’on ne peut réduire le corps à un ADN, on ne peut y réduire la marque. La marque ne veut rien dire. Il y a autant de perceptions de marque que d’individus sur terre. C’est un leurre de croire qu’on puisse réduire une marque à une seule et unique définition. Comment voulez-vous parler de l’ADN de Google ? En France, nous avons une définition de Google qui n’est pas la même pour un Russe, un Tchèque, un sud-Africain, un Australien ou un Américain… »
Halte donc aux concepts séduisants mais simplificateurs… Si la notion d’ADN peut tout de même avoir un intérêt et une signification en marketing, qu’on l’utilise au moins comme un symbole d’évolution et d’adaptation de la marque dans le temps, dans le respect d’un système de codes prédéfinis.
C’est ce que réussissent parfaitement certains constructeurs automobiles allemands, en particulier : cette capacité à rester fidèles à un certain « langage de marque », reflet de la Deutsche Qualität (forme des phares, bruit des portes qui se ferment…) mais en sachant faire évoluer régulièrement le design et l’esprit de leurs différents modèles, pour continuer à séduire de nouveaux clients.
…Un art du changement dans la continuité, en somme. Voilà ce que devrait signifier l’ADN de marque, si tant est qu’on souhaite vraiment continuer à utiliser le concept, bien galvaudé et souvent mal interprété aujourd’hui, comme on vient de le voir. A bon entendeur…
Notes et légendes :
* Cet article s’appuie notamment les conclusions d’une table ronde organisée par Prodimarques en novembre 2013 sur le thème de « l’ADN des marques, la génétique de l’entreprise au service de la communication » (=> Animateur : Philippe Lucas de l’agence Wellcom / => Participants : Catherine Bourgain, généticienne ; Thierry Maillet, historien des entreprises et Jean-Watin Augouard, rédacteur en chef de la Revue des marques).
Crédit photos : Mercedes-benz, X, DR
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