La transparence en communication : utopie, diktat ou opportunité ?

La semaine dernière, dans mon article consacré à la génération K ou (K)Z, nous évoquions avec Georges Lewi une des nouvelles attentes poussées avec virulence par ces nouveaux millenials : l’exigence de transparence absolue… et ses « illusions ».

A force de l’accommoder à toutes les sauces ou presque, la notion de transparence s’est en effet peu à peu galvaudée. Qu’on la considère comme la solution à tous les maux, un passage obligé à l’heure des réseaux sociaux, ou bien comme un inaccessible Graal, elle imprègne à ce point les discours qu’on oublierait presque d’en interroger l’origine et le bien-fondé…

Pourtant, contrairement à ce qu’on pourrait penser, la transparence ne coule pas de source. Et sa mise en application en entreprise, tout autant que son exploitation en termes de communication, continuent de faire débat.

Pour y voir plus clair, je vous propose aujourd’hui de revenir sur les circonstances de l’apparition de cette notion de transparence et d’en étudier de manière critique les enjeux, en analysant en particulier les réserves qu’elle suscite et les espoirs de changement qu’elle autorise.

La transparence, valeur refuge de nos sociétés contemporaines ?

Terme issu des sciences physiques à l’origine (du latin trans-parere = « laisser passer à travers », utilisé pour la première fois en 1361), la notion de transparence s’est étendue progressivement à la plupart des volets de l’activité humaine, au point d’être devenue omniprésente aujourd’hui. La raison de ce succès ? Dans son acception éthique, la transparence semble être devenue l’ultime recours des citoyens et des individus contre les dysfonctionnements économiques, sociaux, politiques ou individuels. Comme le résumait il y a quelques années Thierry Libaert*, une des idées les plus répandues de notre époque consiste en effet à penser « quil suffirait que tout soit transparent pour que tout fonctionne mieux« .

Cette croyance, qui a tout d’une idéologie dominante, d’après cet éminent expert en communication des organisations, résulte de deux phénomènes : d’une part, la multiplication des crises et des « affaires » depuis 30 ans (Tchernobyl, guerre en Irak, 11 septembre, Enron, Erika…) et la défiance croissante des consommateurs-citoyens vis-à-vis des discours des entreprises et des institutions ; d’autre part, l’avancée technologique, qui permet si on le souhaite de « tracer » et sécuriser la quasi-totalité de nos actions, d’où une exigence accrue de contrôle.

De fait, échaudée par les mensonges et tentatives de manipulation à répétition, l’opinion ne tolère plus la moindre opacité, que ce soit dans la conduite des affaires publiques ou privées. Et les acteurs qui s’obstinent à ne pas pratiquer ou rechercher la transparence paraissent d’emblée suspects.

Transparence à tous les étages…

Cette exigence de transparence n’a fait que se renforcer durant la dernière décennie, portée par l’avènement et l’envol sans précédent des réseaux sociaux. D’une information peu abondante et encore contrôlée par un nombre limité d’émetteurs, on est en effet passé à une ère de l’information libérée et à la sur-valorisation de la donnée brute, notamment.

Les internautes exigent aujourd’hui de pouvoir accéder directement à la « vérité » des fait et des chiffres, « sans limite, sans médiation, sans interprétation« **. Succès de la data visualisation, ouverture des 
données publiques et privées, développement des leaks et autres initiatives d’investigation et de partage nées sur le net… Une autre manifestation de ce besoin de transparence réside dans l’apparition et la médiatisation accordée aux lanceurs d’alerte, ces nouveaux héros 2.0 auxquels Olivier Cimelière a consacré cet excellent article.

Conséquence pour les organisations : il n’est pas une institution ni une entreprise importante qui ne se soit emparée de ce concept de transparence pour en faire un pilier de sa communication et en revendiquer haut et fort l’application dans l’ensemble de ses activités (et pas seulement en communication financière).

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Quelques limites à « cet obscur besoin de clarté »

Dans cette surenchère communicationnelle, Thierry Libaert a néanmoins relevé une contradiction majeure en analysant les rapports d’activité d’une cinquantaine d’entreprises : les sociétés qui ont tendance à suremployer la sémantique de la transparence sont souvent celles dont l’opacité est la plus forte. Ainsi, avant leurs déboires, Vivendi et Enron figuraient-elles parmi les entreprises les plus « transparentes », à lire leurs publications et les discours de leurs P-DG en tout cas.

La surpromesse ou la mise en scène d’une transparence factice constituent un piège dans lequel tombent souvent les organisations. Or, au risque de choquer les « puristes » de la transparence, la plupart des experts et des communicants s’accordent aujourd’hui à reconnaître que la transparence totale, en entreprise en particulier, est presque impossible. Et d’autant moins souhaitable que la plupart de publics (à l’exception de la génération KZ, et encore) ne la réclament même pas, bien conscients des dérives totalitaires auxquelles celles-co pourrait aboutir.

« Il faut arrêter de parler de transparence d’une manière globale, mais toujours essayer de la voir autour de thèmes et établir une cartographie de ce qui est diffusable ou non » confirme Thierry Libaert. Dans certains domaines d’activité ou dans certains contextes, comme des négociations commerciales ou à la veille d’une OPA par exemple, il est bien évident que les organisations ne peuvent se laisser aller aux confidences ni à la transparence totale.

Autre écueil bien connu : la diffusion d’informations « tous azimuts » n’est pas forcément une garantie de transparence ni de véracité, au contraire…

L’infobésité, l’accès à l’info en flux continu et la pratique du carpet bombing notamment, stratégie qui consiste pour une organisation à « noyer le poisson » en divulguant des masses de données inintéressantes ou impossibles à analyser, contribuent davantage à opacifier les débats qu’à promouvoir la transparence attendue. D’autant que dans des domaines très techniques, sans la médiation d’une tierce partie (journaliste ou expert notamment) permettant de décrypter l’information brute, les récepteurs des messages demeurent souvent impuissants et démunis, dans une relation asymétrique où l’émetteur conserve le pouvoir et la connaissance.

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La transparence comme nouvelle conception de l’action publique et entrepreneuriale, créatrice de valeur et véritable « levier relationnel » vis-à-vis des parties prenantes

Mais peut-on vraiment faire l’économie de la transparence aujourd’hui ? Assurément non. En dehors des domaines dans lesquels elle constitue déjà une obligation légale, et à l’attention de ceux qui douteraient encore sur ce point, je recommande la lecture des blogs d’Olivier Cimelière ou de Christophe Lachnitt notamment, qui narrent régulièrement par le menu les mésaventures survenues à des organisations « opaques », plus soucieuses d’éteindre des scandales ou de les cacher que de répondre à leurs différents publics…

Dans son ouvrage, « Managers, parlez numérique***« , Olivier Cimelière évoquait ainsi les querelles intestines du MEDEF, à l’occasion des élections de son Président en octobre 2012. La fronde contre Laurence Parisot, menée sur les réseaux sociaux par des dissidents sous le pseudo de « Laure Pinpon » avait alors fait éclater la chape de plomb dont la Présidente encore en fonction aurait bien aimé rester entourée… Idem pour la fusion Publicis-Omnicom, dont un compte Twitter satirique bien informé (par des salariés du groupe Publicis) n’avait cessé de conter les mésaventures à l’été 2013… avant d’être suspendu. Et les contre-exemples de ce type sont malheureusement légion et se sont hélas multipliés depuis.

Autant en prendre son parti donc, et considérer la transparence de manière « performative » plutôt que « normative », comme un défi à relever plutôt qu’une injonction ou un diktat extérieur. D’autant qu’envisagée comme « doctrine d’action créatrice au quotidien », la transparence recèle des opportunités de mobilisation considérables, que les entreprises et les institutions auraient bien tort de négliger.

C’est en tout en cas le point de vue que défend brillamment Jean-Baptise Favatier****, dans cet article du Magazine de la communication de crise et sensible : « Communication d’entreprise : Azincourt ou la transparence ? » dont je recommande vivement la lecture !

Pour cet expert, habitué à conseiller des dirigeants d’entreprises et d’institutions publiques, la transparence n’est évidemment plus une option. Et le vieux débat « tout dire? /ne pas tout dire? » n’a plus de sens aujourd’hui, tant il contribue à prendre les acteurs concernés pour des idiots. Car toutes les enquêtes le prouvent : personne aujourd’hui n’attend réellement de tout savoir de l’entreprise et de ses « espaces naturels secrets » commerciaux ou stratégiques…

Les attentes exprimées par les différents publics sont en effet connues et claires : 1) obligation de moyen et non de résultat : les consommateurs-citoyens veulent avoir le sentiment qu’on a réellement pris en compte leurs attentes et qu’on a voulu être transparent avec eux (perception individuelle) ; 2) respect des 4 fondamentaux de l’information vertueuse : fiabilité / clarté / indication claire des comportements attendus à l’issue de la réception des messages / adéquation de la réactivité de l’émetteur aux normes sociales (réponse aux questions sous 3/4 d’heures à une heure idéalement et non 24 à 48 heures comme la plupart des entreprises la pratiquent aujourd’hui en moyenne) sont également attendues ; 3) respect d’un agenda de communication précis stipulant « qui sera informé et à quel moment », car comme le montre Jean-Baptiste Favatier, être transparent, c’est nécessairement « choisir qui informer avant qui, à partir d’une cartographie transparence capable de créer un effet boule de neige jusqu’au dernier informé, en limitant le risque relationnel« …

En répondant à ces attentes, et en refondant les techniques et outils de communication habituellement employés pour en faire d’abord des supports d’écoute et de relation avec les publics, la transparence devient un levier tactique et stratégique au service des organisations. Elle permet en effet de « rétablir le contact avec les citoyens, de réguler les conflits d’usage, et à terme, de faire de la crise une opportunité de mobilisation, ce que l’on n’arrive pas à faire par la communication experte ou par l’injonction politique ou managériale »

cit

Par où commencer la transparence ?

Nouvelle doctrine de l’action publique et entrepreneuriale adaptée au contexte social contemporain, la transparence renforce indéniablement la cohésion et la concertation avec les différentes parties prenantes et par la même le statut et l’influence des organisations qui la développe.

S’inscrivant dans un idéal de vertu vers lequel il faut tendre, la transparence fait rentrer la communication des entreprises et des institutions dans une nouvelle dimension stratégique, tactique et technique. En ce sens, elle n’est pas un moyen mais un objectif en tant que tel.

Et pour s’engager dans ce chemin, en résumant les recommandations de Jean-Baptiste Favatier, voici quels sont en substance les 6 chantiers prioritaires de la transparence :

  1. Définir une véritable stratégie, fondée sur la cartographie des thématiques de transparence qui aura été préalablement établie ;
  2. Refonder les supports et outils de communication pour les adapter aux attentes des publics en matière d’information, renforcer la dimension relationnelle et tenir compte des asymétries ;
  3. Adapter ses moyens et son organisation pour être ultra-réactif en temps calme et être en mesure de réguler les conflits d’usage ;
  4. Mettre en oeuvre et respecter un agenda de communication précis, élaboré en fonction de la cartographie mentionnée ci-dessus et établissant qui seront les « privilégiés de l’ information » et quand les autres publics doivent être informés ;
  5. A moyen et plus long terme, étudier tous les moyens de construire l’entreprise/l’organisation en tant qu’acteur responsable (à la fois plus réactif, plus proche et plus agile) ;
  6. Multiplier les « preuves de transparence », comme on multiplie les preuves d’amour, pour reprendre l’expression de Paul Valéry, en privilégiant l’échelon local et les actions les plus concrètes, car « les preuves de transparence doivent se faire de préférence là ou se construit aujourd’hui la motivation et l’identité, c’est-à-dire dans l’environnement de travail du salarié ou dans le territoire de vie du citoyen« …

 

 

Sources :

* Article « Hors la transparence, point de salut » de Thierry Libaert, publié dans le journal de l’Union des entreprises romandes (19 décembre 2003)

** Article « La transparence, facteur d’opacité ?« , blog des angiens (16 juillet 2013)

*** Ouvrage « Managers, parlez numérique et boostez votre communication« , d’Olivier Cimelière, Editions Kawa (octobre 2013), 

**** Expert en développement sanitaire et social, conseil de directions d’entreprises et d’institutions publiques,  Jean-Baptiste Favatier est également enseignant à l’ENA et au Conservatoire des Arts et Métiers. 

 

Crédit photos : 123RF, X, DR / TheBrandNewsBlog 

Comments

  1. Ramirez francoise says:

    Article a lire absolument

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