Des « snacking contents » aux « slow » et aux « qualitative » contents : à quels contenus se vouer ?

C’était il y a quelques semaines, souvenez-vous : dans les « 10 tendances émergentes ou persistantes » à prendre en compte en 2020 par les marketeurs et les communicants en 2020, je vous faisais part du retour en force des « deep contents » pour lutter notamment contre les fake news (tendance n°1) et conjointement de l’essor de dispositifs de communication plus frugaux (tendance n°6) et du « slow content » en réponse à l’inflation de contenus courts à faible valeur ajoutée (ou « snacking contents ») à laquelle on a assisté ces dernières années.

De fait, au-delà la jolie brochette d’anglicismes dont je viens de vous gratifier et dont il est généralement question dès qu’on parle de contenus (entre « snacking », « slow », « deep », « qualitative » et autre « precision » content…), force est de reconnaître que les marques – donc nous tous, communicants d’entreprise – nous sommes livrés, parfois à notre corps défendant, à une véritable « course à l’échalote éditoriale » depuis l’émergence d’Internet et des réseaux sociaux.

Faisant fi de l’infobésite croissante et de l’attention déclinante de nos publics, nous avons en effet répondu à l’appétit inextinguible de nos canaux traditionnels et des médias sociaux en alimentant frénétiquement nos fils d’actu d’infographies, de vidéos « à la Brut » et autres news à consommer sur le pouce… Autant de « snacking contents » souvent très formatés et sans saveur, dont la performance en termes d’audience et d’interactions est de plus en plus faible et dont l’omniprésence a fini par traduire une forme de « dictature du court », dont il était plus que temps de sortir…

Dixit Carole Thomas, directrice communication d’Immobilière 3F : « A force de faire court, toujours plus court, de faire ‘continu’, nos messages deviennent cacophoniques, fatigants pour nos publics. Les équipes communication s’épuisent à produire des contenus dont il faudrait prendre le temps d’interroger la valeur ajoutée. »

Dans la foulée de cette louable et saine réflexion, moult consultants et professionnels n’ont pas manqué de tirer à leur tour le signal d’alarme, plaidant pour une rationalisation du rythme de la production éditoriale et un retour à une communication plus frugale et efficace : le fameux « slow content », dont j’ai moi-même à plusieurs reprises vanté les mérites dans ces colonnes. Avec un objectif simple : regagner l’attention perdue des publics par des productions plus rares mais de meilleure qualité.

Et après tout, pourquoi ne pas y croire ? La meilleure preuve de l’efficacité du « slow content » n’a-t-elle pas été apportée ces deux dernières années par ces médias de référence que sont Le Monde ou The Guardian, qui en réduisant significativement leur quantité d’articles publiés ont vu sensiblement augmenter leurs audiences ?

Mais patatras : voici qu’en l’espace d’une semaine, deux articles de Cyrille Dhénin¹ d’une part, et de Vincent Baculard² d’autre part, sont venus doucher l’enthousiasme autour du « produire moins pour produire mieux » et tentent de rebattre les cartes…

Leurs arguments respectifs ? L’idéal est d’aller le découvrir par vous-mêmes dans les colonnes du magazine Stratégies en l’occurrence³, mais en substance, le premier de ces experts pointe : 1) le fait que l’attention des publics ne soit peut-être pas aussi finie qu’on le prétend et 2) le fait que produire moins ne suffise pas, qu’il faut surtout des contenus qualitatifs et ciblés. Et le second de ces communicants d’ajouter : 3) la crainte d’accroître encore l’infobésité au travers de ces contenus « de qualité » qu’on est en train de produire à tout va + le risque de tomber dans un certain « entre-soi ».

Alors à quel saint et à quel contenu se vouer, en définitive ? Pourquoi de telles réticences et sont-elles vraiment légitimes ? Le « mieux » et le « moins » peuvent-ils être les ennemis du « bien », en matière de contenus ? Et comment équilibrer votre stratégie, in fine, pour une équation éditoriale réussie ?

On le voit à la lecture des tribunes de Cyrille Dhénin et Vincent Baculard : les débats autour du/des contenus sont loin d’être clôts. Mais comme souvent, il me semble que la bonne approche est à trouver entre les positions des uns et des autres, avec en premier lieu l’affirmation d’une vraie stratégie éditoriale…

Le « slow content » : utopie ou solution crédible à la perte d’attention des publics ?

« Slow food », « Slow fashion », « Slow education », « Slow tourism », « Slow cosmetics », « Slow sex », « Slow life »… : évidemment le mouvement « slow » n’est pas apparu en premier lieu dans nos métiers de la communication (mais pour mémoire dans celui de l’alimentaire, avec la création dans les années 80 de la première association baptisée justement « Slow food »).

Pour autant, cette notion, qui nous invite à « produire moins mais mieux » est évidemment séduisante et résonne fortement auprès des communicants, dans un contexte « d’infobésité », d’inefficacité croissante des « snacking contents » à capter l’attention de nos publics et de volonté redoublée des professionnels de tendre vers une communication plus « responsable », c’est à dire à la fois plus respectueuse des parties prenantes (moins envahissante et interruptive notamment) et à moindre impact sur l’environnement.

Plus prosaïquement et pour un certain nombre de communicants, l’intérêt ou la vertu du questionnement autour du « slow content » relève aussi quasiment du réflexe de survie et d’une « reprise en main » salutaire des contenus, pour redonner du sens à leur activité et aux productions éditoriales de l’entreprise…

Qui d’entre nous n’a jamais éprouvé, en effet, ce sentiment de saturation à produire parfois au kilomètre des informations ou supports réclamés à cors et à cris par l’un ou l’autre de nos clients internes en dépit de nos recommandations, et dont on sait par avance qu’ils seront peu ou pas vus/lus/entendus ?

Nonobstant son intérêt évident et l’attrait qu’il exerce pour les communicants, force est néanmoins de reconnaître que ce concept de « slow content » est parfois bien difficile à implémenter de manière raisonnée dans les entreprises et dans les us et coutumes des services communication…

Comment ralentir, en effet ? Où se trouve la pédale de frein, quand les interlocuteurs internes des communicants s’avèrent aussi insatiables que l’appétit des canaux ? Et comment dégager le temps nécessaire à la production de supports plus ambitieux, quand les équipes ont souvent pour consigne de maintenir les supports existants et poursuivre l’animation des évènements et supports récurrents ? Et quand bien même de nouveaux formats longs et plus ambitieux sont produits, comment ne pas éviter qu’ils viennent s’ajouter à la longue liste des productions internes, marché ou corporate déjà existantes, renforçant encore l’infobésité ambiante ?

Dans son article intitulé « De la mal bouffe à l’indigestion », Vincent Baculard, PDG du groupe Rouge Vif, ne redoute pas autre chose. « Ce nouvel engouement pour les contenus de qualité que nous observons aujourd’hui, que ce soit dans la presse ou dans les entreprises, en est un bon exemple […] Au nombre d’écrits, on souhaite maintenant ajouter le volume. Chaque entreprise se doit d’éditer un magazine sur les tendances, où parfois sa marque ne figure même plus ou si peu, avec pour ambition de donner à ses prospects/clients/lecteurs une vision du monde et de ses innovations.

Chaque « brand contenter » se gargarise d’articles inspirants sur des sujets déjà largement dans l’air du temps et sur lesquels la marque qui le missionne n’a pas grande légitimité à s’exprimer […] Pour renforcer le sérieux de l’exercice, on écrit des tunnels sans intertitres ni photos ou illustrations, des pavés conséquents couvrant plusieurs pages dont on se demande qui va réellement les lire. On parle de l’infobésité qui nous guette, mais là, avec ces contenus trop riches, c’est carrément l’indigestion doublée d’une migraine carabinée. »

Pour Cyril Dhénin, directeur associé chez Brainsonic, la notion même de « slow content » reposerait d’ailleurs sur un « gros malentendu »³, car outre le fait qu’il existe chez tout individu des réserves d’attention insoupçonnées (j’avoue avoir quelques doutes sur ce point, mais j’en reparlerai), il est utopique de croire que produire moins – si tant est que l’entreprise y parvienne – suffise à générer davantage d’attention. Car c’est toujours la qualité des contenus (originalité, créativité, capacité à susciter des émotions…) associée à la qualité de leur ciblage et de leur démultiplication, qui garantira les meilleurs résultas. Et au demeurant, il demeure nécessaire de marteler les messages pour que ceux-ci soient lus/vus/ou entendus.

Quel que soit le message et quoiqu’il advienne, confirme-t-il, « pour toucher une audience, la singularité de la marque va devoir se matérialiser dans une sacrée ribambelle de canaux et formats. Pas franchement compatible avec une narration frugale… » 

On le voit : si la la polysémie même de cette notion de « slow content » fait manifestement débat (puisqu’elle implique à la fois un « ralentissement » et des formats supposément plus riches et longs), la qualité, la créativité et la pertinence des contenus qu’elle implique n’en restent pas moins plébiscitées, comme autant de facteurs clés de succès et d’attention pour un message ou un support donné. Et sur ce point au moins, tous les professionnels ou presque sont d’accords….

Le « slow content » : une cran plus haut vers l’élitisme et l’entre-soi ?

Autre critique – et pas des moindres – formulée par Vincent Baculard : au-delà de l’infobésité que les contenus longs et de qualité ne feraient qu’accroître, le slow content traduirait une forme d’élitisme, déjà cultivée par de nombreux supports de presse, et favoriserait un dangereux « entre-soi ».

Entendons l’argument du P-DG de Rouge Vif : après voir pendant des années montré une forme d’irrespect aux lecteurs/consommateurs/citoyens, « en leur déversant une littérature des plus simplistes comme s’ils n’étaient pas capables d’intelligence et de culture, le nouvel élitisme de ces contenus les écarte(rait) encore plus sûrement, réservant aux habitants d’Ulm, de Palaiseau ou de la rue Saint Guillaume, le plaisir de cette langue rare ».

Et de citer, à titre d’illustration de cette dérive, l’exemple de « ces milliers de journaux qui s’adressaient à l’ensemble de la population et ont disparu au profit d’une presse recherchant des lecteurs intéressants du point de vue des recettes publicitaires » ou bien tous ces médias rachetés par des magnats de la distribution, de l’industrie du luxe, de la banque ou des télécoms et dont l’objectif n’est plus d’informer la population mais de renforcer l’influence de leurs riches propriétaires, à coup d’articles ressemblant davantage à des publi-rédactionnels ou au contenu des consumer magazines qu’à de l’info.

A noter que pour l’expert des contenus, ce phénomène de « rétrécissement et de partition des audiences » s’observerait tout autant dans la presse que dans l’audiovisuel, les contenus désormais produits par les entreprises ne faisant que répliquer cette dérive élitiste.

Snack-, Slow-, Deep-, Quality- ou Precision Content… : et si tout était question de dosage… et avant tout affaire de stratégie éditoriale et narrative ?

Après cet exposé des différents arguments, finalement assez récurrents, autour des contenus (« courts » Vs « longs » ; « à consommer » Vs « de qualité » ; « tout public » Vs « élitiste »…), force est de reconnaître sa part de raison à chacun des débatteurs. Oui, bien évidemment, une monoculture des « snacking contents » ne saurait être profitable aux marques à long terme, de même qu’il serait périlleux de tout miser sur le « long » et « l’hyper qualitatif »… Au demeurant, les entreprises ne se sont jamais vraiment posées la question en ces termes, tant il est vrai qu’on ne coupe pas impunément le robinet de l’actu corporate, commerciale et de marché. Et contenus « chauds » et « froids » conservent bien évidemment chacun leur raison d’exister, et leurs modalités et formats d’expression de prédilection.

Plutôt que d’opposer les contenus, et de les appauvrir ou les segmenter de manière artificielle – car après tout il en existe une infinité d’autres modalités : contenus didactiques et pédagogiques, ludiques, « serviciels » ou créatifs… sans parler de la variété des formats et des schémas narratifs utilisables : schémas « en escalier », « en éventail », « en mosaïque » ou « en fil d’Ariane » – tous chers à l’experte Jeanne Bordeau – rappelons que l’essentiel réside bien dans la vision d’ensemble et l’articulation de ces contenus, dans le cadre d’une stratégie éditoriale et narrative soupesée, pensée et tendant vers des objectifs bien définis.

Pardon de revenir aussi trivialement aux objectifs de chaque entreprise, aux éléments différenciateurs qui fondent le sens, l’originalité et le caractère distinctif de leur marque et de ce qui devrait constituer le fil rouge de leur récit, mais l’essentiel – et le déficit le plus souvent – se trouve bien ici, hélas.

Et au-delà de l’accumulation d’une ribambelle de « snacking contents » ou de « quality contents », ce qui pêche dans la plupart des cas demeure l’absence quasi-totale de de vision narrative et éditoriale d’ensemble, les contenus n’étant pas suffisamment pensés dans le cadre d’une véritable stratégie de marque et d’énonciation.

Dixit Jeanne Bordeau, fondatrice de l’Institut de la qualité de l’expression, avec laquelle il nous est arrivé de porter à plusieurs reprises ce combat commun : « Un contenu de marque est efficace dans l’instant, mais reste-t-il en mémoire s’il n’est pas relié au mythe fondateur de la marque, s’il n’est pas l’expression de la personnalité particulière de cette même marque ? Ces histoires successives artificielles à la facture souvent parfaite, ne serviront à rien. 

Juxtaposer les contenus et les messages crée discontinuité. Et souvent aujourd’hui, les contenus de marque partent dans tous les sens. Face à ce foisonnement, il faut relier ces contenus aux autres messages de l’entreprise, à ses valeurs ou ses traits de personnalité, pour fonder une ligne éditoriale globale et construite » (Jeanne Bordeau, dans Le langage, l’entreprise et le digital)

Vers une véritable stratégie éditoriale de marque : les secrets d’un storytelling transmédia réussi

Plutôt que de redouter la saturation et la baisse d’attention de leurs publics, marques et communicants seraient bien inspirés de se poser en premier lieu la question du sens : « Dans cette course à l’échalote éditoriale à laquelle je me livre, vers quoi suis-je en train de courir ? Et les contenus que j’envisage ou suis en train de produire vont-ils réellement servir ma marque et l’objectif initial que je me suis fixé ? Dans le cadre de quelle stratégie d’énonciation ? »

Parmi les entreprises les plus vertueuses en terme de stratégie éditoriale, celles dont on peut dire qu’elles ont réellement pensé et mis en œuvre un storytelling efficace et réussi – Burberry, Innocent, Red Bull, IBM, Saint-Gobain ou bien encore le Slip français (entre autres) – toutes ont choisi de construire une réelle stratégie d’énonciation en produisant et articulant leurs contenus dans le cadre des schémas narratifs que j’évoquais ci-dessus, facteurs de cohérence, de redondance et de progression de leur récit.

Si Saint-Gobain multiplie les stories dans le cadre d’un schéma narratif « en escalier », exposant d’abord le problème à résoudre, puis la solution apportée, Le Slip français mise quant à lui, quels que soient les canaux utilisés, sur un schéma narratif « en éventail », faisant voyager son personnage Francis tout autour du monde, entre deux prises de parole de ses dirigeants et autres reportages insistant sur la dimension 100% française de ses produits. IBM a davantage recours quant à lui à un schéma narratif « en mosaïque », articulant chacun de ces messages et de ces histoires autour du thème central de l’inventivité au service de ses clients, tandis qu’Innocent déroule un récit source fondateur : l’épopée de ses trois fondateurs contre la mal bouffe et pour des jus plus sains, dans le cadre d’un schéma « en fil d’Ariane »…

Mais quels que ce soient les schémas et stratégies éditoriales retenus par ces marques, chacun des contenus produits, de même que les supports, formats et le ton choisis servent cette vision d’ensemble, de manière transmédia, puisque tous les canaux sont habilement exploités.

Contenus créatifs, ludiques, serviciels ou pédagogiques, formats « courts » ou « longs »… telle n’est plus la question quand tous sont au service d’une stratégie dont la fréquence de publication et la longueur ne sont plus les juges de paix, mais la quête du sens pour servir la marque et faire vivre son storytelling

 

 

Notes et légendes :

(1) Cyril Dhénin est directeur associé chez Brainsonic 

(2) Vincent Baculard est PDG du groupe Rouge Vif

(3) Les articles mentionnés sont les suivants : 

« De la mal bouffe à l’indigestion », de Vincent Baculard, Stratégies n°2028 du 20/02/2020.

« Le slow content, ce gros malentendu », de Cyril Dhénin, Tribune sur le site de Stratégies, en date du 26/02/2020

 

Crédit photos et illustration : 123RF, The BrandNewsBlog 2019, X, DR

 

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