La communication et les communicants dans une mauvaise passe ?

Les communicants sont-ils en train de devenir les têtes de turc préférées des politiques et de l’opinion ? Si l’on se fie à un certain nombre de signaux convergents et aux analyses éclairantes de quelques observateurs avertis, il semblerait que oui.

Il faut dire qu’après l’onde de choc de l’affaire Bygmalion, la tentation est forte de faire l’amalgame : « méthodes de ripoux = habitude de tout communicant = tous pourris » et de désigner l’ensemble d’une profession à la vindicte populaire. Les politiques eux-mêmes, bien que friands des conseils des communicants et à l’origine de nombreuses déviances, n’ont pas hésité à reprendre à leur compte les critiques les plus virulentes, en réclamant par exemple avec plus ou moins de discernement une réduction des effectifs de communication au sein des administrations et des entreprises.

C’est pour éviter de sombrer dans ce genre de démagogie et dénoncer les pratiques d’une poignée de « gourous » et autres « spin doctors » que des professionnels tels que Jean-Luc Letouzé ou Olivier Cimelière ont jugé bon de monter au créneau*… Le BrandNewsBlog ne pouvait qu’approuver leurs coups de gueule et contribuer au débat…

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Les pratiques (aussi condamnables soient-elle) de quelques acteurs ne peuvent suffire à condamner une profession…

L’affaire Bygmalion recèle tous les ingrédients d’un mauvais polar communicant. Une agence évènementielle peu regardante sur la loi et les questions d’éthique, un candidat en quête de fonds pour terminer sa campagne, un parti politique et des dirigeants a minima complaisants, de grandes entreprises naviguant en eaux troubles et une cohorte de « seconds rôles » aux responsabilités encore à déterminer… Bref : une bonne dose de magouilles mâtinées de mensonges et autres trahisons, le tout dans une parfaite opacité cela va sans dire. Soit un condensé de toutes les déviances qui n’ont cessé depuis des années de creuser le fossé entre l’opinion et nos « élites » : journalistes, politiciens, dirigeants d’entreprise et ceux qu’on décrit parfois comme leurs « âmes damnées », les communicants bien sûr.

Rien d’étonnant, dès lors, à constater le discrédit dont souffrent les représentants de ces « autorités en mal d’autorité ». Le baromètre de l’UDA-Harris Interactive 2013 (voir ici) et les résultats du célèbre Trust barometer notamment, quantifient et démontrent année après année une érosion spectaculaire de la crédibilité de nos élites, et l’ampleur de cette défiance généralisée représente hélas une terrible épée de Damoclès pour nos démocraties.

Pour autant, chacun admet que les pratiques de quelques intermédiaires et agences de communication « véreuses » ne sont pas forcément représentatives des comportements d’une profession. Et de fait, la réalité de la plupart des agences et communicants que je connais est à des années lumières des pratiques délictueuses imputées à Bygmalion. Confrontées à la crise, aux coupes budgétaires et autres réductions d’effectifs, la plupart des marketeurs et communicants en est plutôt à se serrer la ceinture et à négocier âprement la moindre marge de manœuvre qu’à rouler sur l’or ou à surfacturer allégrement.

La faute aux spin doctors et autres « gourous » de la com’ ?

Le scénario et le « casting » de l’affaire Bygmalion seraient sans doute incomplets sans l’ambition dévorante d’un de ces « gourous de la com’ » qu’affectionnent tant le grand public et les médias. Ancien collaborateur de Jean-François Copé à l’UMP, Bastien Millot, le fondateur de Bygmalion, était connu et apprécié depuis des années des milieux politiques et d’affaires, pour ses relations et son entregent. Patron d’agence, faiseur et défaiseur de réputations, chroniqueur dans le grand Bazar des médias sur Europe 1, il était en quelque sorte, au fait de sa gloire, le pendant droitier du beaucoup plus discret Robert Zarader, grand communicant et conseiller de l’ombre de François Hollande. Aujourd’hui « retiré des affaires », Bastien Millot est devenu avocat au barreau de Marseille… (=> lire ici l’article que lui consacrait récemment Paris Match).

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Voilà d’ailleurs un des paradoxes de cette équation communicante : le public décrie et raffole en même temps des personnages de l’ombre et autres spin doctors auxquels on attribue volontiers la réussite (ou l’échec) de leurs poulains. Il suffit de lire cet article récent des Enjeux-Les Echos sur Robert Zarader pour s’en convaincre : dans l’imaginaire collectif, le bon communicant se doit d’abord d’être un manœuvrier hors pair, doublé d’un homme/une femme d’expérience au carnet d’adresses bien rempli. Son influence supposée auprès de la presse, en particulier, et sa connivence avec les grands journalistes politiques ou économiques, demeurent un des moyens de mesurer son pouvoir et son aura. Car le gourou de la com’ rend volontiers des services, c’est bien connu. En échange desquels il est naturellement en droit d’attendre quelques retours d’ascenceurs…

Dans son billet-coup de gueule, l’excellent Olivier Cimelière (que je cite souvent mais ses écrits le méritent), ne manque pas de dénoncer le tort que ces bidouilleurs (de génie parfois), ont causé et continuent de causer aux communicants. Incarnant à eux seuls une bonne partie des clichés en vogue sur la communication, ils en ont sapé la crédibilité et les dernières illusions morales, tandis que la plupart des professionnels s’évertuent à faire la preuve de comportements plus éthiques.

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Des communicants condamnés à la pédagogie et à lutter contre les clichés…

Dans un précédent article, j’insistais sur les « 6 bonnes raisons de croire en la communication… et de ne pas désespérer des communicants ». De fait, la plupart des communicants « 2.0 » appliquent aujourd’hui des méthodes bien différentes de leurs prédécesseurs et n’hésitent pas à promouvoir et mettre en pratique une véritable transparence. Les attentes des publics et l’avènement des médias sociaux aidant, ils envisagent leur métier d’une manière plus éthique et responsable, soucieux d’engager leurs entreprises dans une relation durable avec leurs parties prenantes.

C’est aussi pour réhabiliter la communication et les communicants que Jean-Luc Letouzé est parti en croisade contre les clichés qui stigmatise sa profession*. Répondant à une petite phrase de Ségolène Royal, qui estimait dernièrement nécessaire de tailler dans les « effectifs pléthoriques » de communicants au sein des administrations et des banques en particulier, le Président de l’association Communication et entreprise rappelait récemment dans le magazine Stratégies les 5 raisons d’être de la communication corporate : 1) Apporter du sens et faire partager l’ambition stratégique des entreprises // 2) Créer de la valeur au travers de la marque, une bannière permettant à la fois d’identifier l’entreprise et la positionner sur ses marchés et face à ses concurrents // 3) Répondre aux interrogations et besoins d’information des publics internes et externes // 4) Favoriser l’évolution des organisations et accompagner les changements de l’entreprise // 5) Cultiver les responsabilités de l’entreprise, via la RSE qui devient un levier clé de création de valeur.

Ces deux plaidoyers en forme de coups de gueule le prouvent : régulièrement désignés comme « inutiles », « dépensiers », « manipulateurs » voire « nuisibles à la démocratie », les communicants ont encore un long chemin à faire pour tordre le cou aux idées reçues, braver les critiques démagogiques qui leur sont adressées et faire reconnaître l’utilité de leurs missions.

Facilitateurs sociaux et interfaces entre les organisations et leurs publics, leur rôle et leur apport souvent contestés n’en restent pas moins primordiaux. Et j’aurai nécessairement l’occasion d’y revenir dans ce blog, en répondant point par point à chacun des clichés qui polluent l’image des communicants… Clichés dont je vous livre ci-dessous un petit « florilège » :

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* Sources :

« Communication : dépense ou investissement ? Réponse à Ségolène Royal » de Jean-Luc Letouzé – 30 avril 2014

« Bygmalion & spin doctors : il faut absolument changer de logiciel communicant ! » d’Olivier Cimelière – 15 juin 2014

« 6 bonnes raisons de croire en la communication… et de ne pas désespérer des communicants«  – BrandNewsBlog – 11 février 2014

« Robert Zarader, le confident de l’Elysée » d’Henri gibier – Enjeux Les Echos, 1er mai 2014

« Bastien Millot, un ambitieux assoiffé de reconnaissance », de David Le Bailly et François labrouillère, Paris Match – 11 juin 2014

 

Crédits photos : X, DR, TheBrandNewsBlog 2014

 

 

 

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